Coup de projecteur sur "urban engineering for sustainability"

Interview de l'Ambassadeur FIER SPM Sybil DERRIBLE

Sybil DERRIBLE est originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon, un parcours universitaire riche qui l’a emmené de Londres à Singapour en passant par Lyon et Montpellier.
Il est aujourd’hui professeur en génie civil à l’Université de l’Illinois à Chicago (UIC) et a publié il y a quelques mois un manuel dédié à l’enseignement des ingénieurs « Urban engineering for sustainability »

FIER SPM : En quelques mots pouvez-vous nous présenter votre parcours et les liens qui vous rattachent à Saint-Pierre-et-Miquelon ?

Sybil DERRIBLE : Je suis né et j’ai grandi à Saint-Pierre. Ma famille y réside toujours et j’essaie d’y retourner le plus souvent possible, au moins une fois tous les deux ans. Comme beaucoup de Saint-Pierrais, je suis parti à l’âge de dix-huit ans poursuivre mes études. Après un an de prépa Maths à Montpellier, j’ai décidé de me réorienter et de poursuivre mes études en Angleterre qui offrait l’opportunité de faire des études en anglais dans un contexte européen – l’avant Brexit, c’était en 2001. Après trois ans à Londres à l’Imperial College et un an en étudiant Erasmus à l’École Centrale de Lyon, j’ai obtenu un Master of Engineering en génie mécanique. Cette dernière année en France m’a également permis de faire un stage chez Accenture à Paris.

Malgré une belle expérience pendant mon stage, j’ai décidé de me porter vers le milieu de la recherche – j’y avais pris goût à Londres pendant un stage d’été. Néanmoins, j’ai décidé de m’orienter vers l’Amérique du Nord plutôt que l’Europe et j’ai eu la chance d’avoir été accepté à l’Université de Toronto où j’ai fait un doctorat en génie civil sur le thème des transports publics dans une optique développement durable qui deviendra le fil conducteur de toute ma carrière.

Après plus de quatre ans et un doctorat en poche, je suis parti à Singapour pour faire un post-doctorat au Singapore-MIT Alliance for Research and Technology. J’ai adoré cette expérience au point de retourner en Asie presque tous les ans depuis.

En parallèle, j’ai fait des demandes pour devenir professeur d’université. C’est ainsi qu’en août 2012, j’ai atterri à Chicago (États-Unis) pour devenir professeur en génie civil à l’Université de l’Illinois à Chicago (UIC). Malgré de longues semaines de travail et un emploi du temps chargé, j’adore ce métier. Je passe mon temps à faire des demandes de financement pour la recherche, à recruter et superviser des étudiants en doctorat et en master, à écrire des publications scientifiques, à servir dans des comités nationaux et internationaux, et bien sûr à enseigner.

À UIC, j’ai créé un groupe de recherche, le Complex and Sustainable Urban Networks (CSUN) Laboratory, où nous avons développé une expertise en génie des infrastructures, métabolisme urbain, et sciences des données (data science) dans le but d’aider les villes à devenir plus intelligentes, plus durables, et plus résilientes. Avec ma femme, en 2019-2020, j’ai profité d’une année sabbatique (courant dans le système américain, tous les sept ans) pour passer six mois au Vietnam et six mois en France dans le but de commencer de nouveaux projets et d’établir de nouvelles collaborations. Ce fut une année très riche, au niveau personnel et professionnel, malgré quelque mois de confinement passés à Paris.

De retour à Chicago en août 2020, mes activités d’enseignement reprennent, mais en ligne cette fois-ci, comme beaucoup dans le monde.

 

FIER SPM : Pourquoi avez-vous accepté de devenir Ambassadeur FIER SPM ?

Sybil DERRIBLE : J’ai accepté pour deux raisons :

La première, pour porter loin et fort les couleurs de l’Archipel, mes expériences professionnelles m’ont permis de vivre dans six pays différents et j’ai toujours été fier de parler de mes origines et de promouvoir les couleurs de mes îles. Je sors très souvent mon smartphone pour lancer l’appli Google Maps afin que mes interlocuteurs puissent nous situer ; au vu de notre situation géographique, ils sont d’ailleurs souvent très étonnés que notre devise soit l’EURO. J’ai très souvent la même réaction : « Wow, tu es la première personne de Saint-Pierre-et-Miquelon que je rencontre ». Je continuerai ce rôle d’ambassadeur toute ma vie !

La deuxième raison est la suivante : on vit dans un monde constitué de réseaux, physiques et sociaux, et il est primordial de savoir les utiliser : toutes les communautés le font, pourquoi pas nous ?. Ainsi, j’essaie souvent d’entrer en contact avec des gens de l’archipel quand je voyage et j’aide toujours les Saint-Pierrais et Miquelonais quand on me sollicite. Avec cet article, j’invite ceux qui le veulent à me contacter s’ils pensent que je peux leur être utile en ma qualité d’Ambassadeur FIER SPM !

 

FIER SPM : En fin d'année dernière vous avez publié votre premier ouvrage "Urban engineering for sustainability", littéralement "Ingénierie urbaine pour la durabilité", pouvez-vous nous en dire plus sur le contenu du livre ?

Sybil DERRIBLE : La grande majorité de nos villes fonctionne encore sur un modèle du début du vingtième siècle : des infrastructures sont construites sans coordination pour assouvir une demande qui ne cesse d’augmenter et qui dépasse les capacités de notre planète à les produire. Ainsi, nous consommons plus d’eau, plus d’électricité, et nous nous déplaçons plus loin. En même temps, nos villes ont du mal à s’adapter aux conséquences du changement climatique, qui se manifeste particulièrement en ingénierie civile par des pluies de plus en plus diluviennes dépassant les capacités de nos réseaux d’égouts.

Comme l’a dit Einstein : « On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème » ; il est l’heure de faire évoluer nos méthodes d’ingénierie civile et d’aménagement du territoire. Urban Engineering for Sustainability est avant tout un livre dédié à l’enseignement des ingénieurs ; c’est un textbook (livre de cours) et non pas un livre grand public. Le contenu est technique et un chapitre est dédié aux réseaux d’électricité, d’eau et eaux usagées, de transport, aux bâtiments, et aux déchets; voir la table des matières complète ici.

En général, les chapitres suivent ce modèle :

  • (1) description des concepts techniques fondamentaux,
  • (2) analyse de l’évolution de la demande des infrastructures,
  • (3) description du fonctionnement des infrastructures pour répondre à cette demande avec un accent sur une offre plus durable.

L’ouvrage peut être considéré comme un livre de référence. On ne le lit pas du début à la fin comme un roman, mais on s’y réfère lorsque l’on veut apprendre ou se remémorer certains concepts ou techniques liés aux infrastructures. Il est publié au MIT Press, la maison d’édition du Massachussetts Institute of Technology. Pour l’instant, j’ai reçu d’excellents échos de collègues qui utilisent le livre pour enseigner leurs cours.

 

FIER SPM : Vous évoquez Saint-Pierre-et-Miquelon dans votre livre, le contenu est-il applicable sur nos îles ? De quelle façon ?

Sybil DERRIBLE : Entièrement ! Les concepts et outils décrits dans le livre sont applicables à toutes les villes, grandes et petites, à travers le monde. D’ailleurs, le livre s’inspire beaucoup de Saint-Pierre-et-Miquelon. Notre contexte insulaire nous pousse à une sobriété et une (quasi-)indépendance sur beaucoup de niveaux, dont énergétique, traitement et consommation d’eau, et traitement des déchets. C’est avec beaucoup de fierté que j’ai vu l’archipel « devenir » de plus en plus durable au fil des années, par exemple avec le réseau de chaleur et le traitement des déchets. Lors de mes visites sur l’Archipel, j’essaie toujours de visiter les nouvelles infrastructures. Bien évidemment, je parle aussi de Saint-Pierre-et-Miquelon dans mon livre, dès l’introduction, notamment en utilisant cette photo qui montre que toutes ces infrastructures qui sont planifiées de manière indépendante sont pourtant juxtaposées et s’influencent les unes avec les autres.

Afin d’appliquer certains des concepts du livre, il faut d’abord avoir une idée d’ensemble de la taille du problème que l’on essaie de résoudre. Ainsi, il est souhaitable de réaliser une étude de métabolisme urbain qui a pour but de connaître et de mesurer les flux d’énergies et de ressources dans l’archipel. À travers une collaboration avec des chercheurs de l'Institut de Recherche en Sciences et Techniques de la Ville (IRSTV) de Nantes, on a commencé à réaliser cette étude pour l’Archipel. J’espère pouvoir en dire plus bientôt, même si le projet est un peu retardé à cause de la pandémie du COVID-19.

 

FIER SPM : Où peut-on se le procurer ?

Sybil DERRIBLE : Le livre est disponible sur le site de MIT Press ou sur Amazon. Encore une fois, le livre est technique et il n’est pas destiné au grand public. Par ailleurs, il est écrit en anglais. Pour toutes personnes intéressées, je me ferais un plaisir de partager gratuitement avec vous un fichier PDF de la première version non corrigée et non formatée.

 

FIER SPM : Quels sont vos projets en cours ?

Sybil DERRIBLE : Les projets ne manquent pas ! Je travaille toujours sur plusieurs demandes de financement de recherche, sur des publications scientifiques, sur un recueil de réflexions d’experts sur les infrastructures urbaines pour 2100 (dans lequel j’ai écrit une histoire se passant le 14 juillet 2100 à Saint-Pierre), sur l’organisation d’une nouvelle série de conférences (Actionable Science for Urban Sustainability), et sur bien d’autres projets. J’ai par ailleurs au moins une dizaine de projets de collaboration en cours avec des équipes américaines et internationales. Un de ces projets, financé en mai dernier, est relié `å la pandémie du COVID-19 ; il s’agit d’une enquête nationale pour étudier les changements comportementaux des gens en matière de transport (on a interrogé à peu près 10 000 personnes à travers les Etats-Unis). Finalement, je suis en train d’écrire un nouvel ouvrage, mais grand public celui-ci, sur les infrastructures urbaines… affaire à suivre.

À travers mes voyages, je rencontre beaucoup de personnes qui regardent la situation actuelle et qui développent un pessimisme profond (changement climatique, guerres, pandémies). En tant qu’ingénieur-chercheur, je vois cette situation comme un problème à résoudre et l’humanité a toujours eu des problèmes à résoudre. Certes, ce problème est de taille, mais il n’est pas insurmontable. Je reste fondamentalement optimiste et j’y consacre toute ma carrière.

Pour conclure avec une note française (je n’écris que rarement en français), je finirai avec les mots de Paul Valéry : « Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! ».

 

Plus d'informations sur l'Ambassadeur FIER SPM Sybil DERRIBLE :

Linkedin : https://www.linkedin.com/in/sybilderrible/

Twitter : https://twitter.com/SybilDerrible

 

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